vendredi 5 avril 2013

LAISSER LA PLACE - LEAVE THE PLACE

     Mon père s'est suicidé à 84 ans, épuisé, déjà incontinent et à la veille d'une
 opération qui lui promettait des poches fécales avec des risques de devenir
grabataire. Il a décidé d'ouvrir une autre porte sur son chemin de vie sachant
que l'euthanasie n'est pas envisageable en France, il a choisi de partir au
moment où il pouvait encore l'exécuter par lui-même. Il a essayé de
s'électrocuter et n'y parvenant pas, il  s'est pendu au fond du jardin. Il nous
a laissé une lettre d'amour pour nous permettre de supporter son absence.

La place qu'il occupait est toujours à lui mais non remise à jour comme un
blog abandonné. Dans la question de place, je considère que nous sommes
tous une cellule "une et indivisible" de l'espèce :

                1 = notre partie exclusive qui correspond à nos aptitudes
                      créatives
                     
   Indivisible = par tout ce qui nous rattache à l'ensemble de l'espèce

Lorsque l'une des 2 composantes vient à manquer, un déséquilibre se
crée.
Il en serait ainsi
d'une personne
qui tenterait de
prendre la place
d'un parent défunt
car il ne pourrait
pas mettre en oeuvre
sa partie "1", il ne
serait qu'indivisible
(noyé dans la masse
=invisible)



Concrètement,cela revient à enfiler un costume qui n'est pas à sa taille, élimé aux
manches. Il en va ainsi, dans
certaines familles, quand par
tradition ou obligation, on
marche dans les pas de ceux
qui nous précèdent. Il est
souvent déjà si  ardu d'avancer
que le faire entravé par un
vêtement trop grand paraît
extrêmement complexe et
plombe toutes les ardeurs.

Pour en revenir à mon père, dans les derniers temps, il était préoccupé par ses
selles. Il devait certainement penser à l'opération et mûrir sa décision de nous
quitter. Je crois qu'il était "emmerdé" par tous ces choix à réaliser, abandonner
ceux que l'on aime ne s'accomplit pas de gaieté de coeur.
Avez-vous remarqué que lorsque l'on a des soucis, notre corps nous parle :
nous avons souvent des ballonnements, des flatulences, des coliques parfois
néphrétiques, de la constipation....En fait, tout ce qui communique sur nos
"besoins" (il y a d'ailleurs actuellement beaucoup de cancers du colon).
Ah, ces fameux mots à multiples sens comme "besoin" qui  nous permettent
de jouer à l'autruche avec nos émotions, nos sentiments profonds.
Ça vous paraît peut-être bizarre que j'aborde ce sujet aussi crûment car dans
notre société, il est moins indécent ou vulgaire de dénuder son corps en public
que de parler de ses besoins vitaux (c'est pourtant la partie la plus vivante,
communicante, inexpliquée et ancienne de notre être, celle qui nous relie le
plus sûrement aux autres) comme si notre existence n'était qu'un beau crépi.

Cependant, nous sommes programmés pour évoluer et c'est pourquoi,
depuis la nuit des temps que l'homme utilise les mots, malgré les milliards de
combinaisons déjà employées,  il réinvente chaque jour de nouvelles mosaïques.
Se dire est une nécessité absolue, vitale. Si les mots ne peuvent servir
d'exutoire ou que nous ne prenons pas soin d'écouter ce qui dialogue en
nous, c'est le corps qui s'exprime sous forme de maux . C'est notre
communication intérieure, indicible pour l'instant, qui cherche à se faire
entendre

Je m'en suis aperçue en m'inscrivant à des cours de la méthode "Feldenkrais" (1)
En fait, la vie, le stress,
les émotions non exprimées
avaient contraint mon corps
à s'adapter à l'inacceptable,
me déformant petit à petit
(mauvais positionnement
de la colonne vertébrale ,
mal au dos, courbatures....).
C'est infime certaines fois
mais j'ai eu conscience en
faisant les exercices que
certaines parties de mon


organisme ne travaillaient plus et d'autres trop. Alors que tout est bien étudié
et utile en nous, il y a peu de choses à jeter.
J'arrivais en séance avec un cheval mort sur le dos et repartais légère comme
une plume dans un corps serein, retrouvé. Une nuit, j'ai rêvé que j'étais assise
au bord d'un trou béant pratiqué au niveau de mon sternum, et je regardais
à l'intérieur, sans aucune appréhension, avec curiosité, j'étais très bien.
Je regrette, pour mon  père, de ne pas avoir été plus avancée dans mes
recherches, ma compréhension de tous ces mécanismes internes, non pas
pour modifier sa décision car je n'aurais pas voulu le voir malheureux mais
simplement afin de communiquer différemment.

En résumé : sans place l'homme n'existe pas et celle qu'il laisse ne peut-être
reprise par un autre. Les situations sont échangeables (relations amoureuses,
logements, professions....) mais pas les places.

Il est temps de m'arrêter ici pour ce soir, je vous souhaite un bon week end
et à vendredi prochain



1) Il a étudié les relations entre le cerveau et le corps. 
Pour anecdote, mon père lors d'un séjour à l'hopital avait appris à
se relever sans effort, lorsqu'il était assis, en utilisant la force motrice
de son corps et il en était très heureux, cela ne lui coutait plus de
se mettre debout : c'était un mouvement Feldenkrais.




MY TRANSLATION : LEAVE THE PLACE


My father committed suicide at 84 years, exhausted already incontinent and on the eve of anoperation that promised him fecal pockets with risk of becoming bedridden forever. He decided to open another door on his way of life knowing that euthanasia is not conceivable in France, he chose to leave when he could still make it by himself. He tried to get electrocuted and not succeeding, he hanged himself in the garden. he left a love letter to enable us to endure his absence.

The place that he occupied is still at him but without updating as blog abandoned. In the matter of place, I think we are all cell "one and indivisible" of the species:

                  " 1 "= our exclusive part that corresponds to our creative skills


      "Indivisible" = by anything that connects us to all the members of the species

When one of the two components is missing, an imbalance is created.



  


It would be a person who tries to take the place of a deceased parent, but she would not be able to realize his part"1", she is indivisible (embedded in the mass = invisible)

                                                                                    



Concretely, this means put on a costume that is not our size, threadbare on the sleeves. This is the case, in some families, when by tradition or obligation, we walk in the footsteps of those preceding us.  
It is often difficult if already to move forward that doing it hampered by a clothing too large seems extremely complex and  ruin all enthusiasm.
To return to my father in the latter times, he was preoccupied with his stools. Certainly he had to thinking about the operation and mature his decision to leave us. I think he was "pissed off (*)" by all these choices to make, abandon those we love is not accomplished with a light heart.
Have you noticed that when we have problems, our body speaks us : we often bloating, flatulence, colic sometimes nephritic, constipation .... In fact, every thing  communicates our "needs"(*) (there are also now many cancers of the colon).
Ah, the famous words with multiple meanings like "need" that allow us to play the ostrich with our emotions, our deep feelings. It may be strange that I talk about it so bluntly because in our society, it is less indecent or vulgar to strip his body in public than talking about his basic needs (then they are the most vivid, Interconnecting, unexplained and old of our being, that which connects us
the most surely at the others) as if our existence was a beautiful roughcast.
However, we are programmed to evolve and this is why since the mists of time that human has used the words, despite the billions of combinations already used , it reinvents every day new mosaics. Telling yourself is an absolute necessity, vital. If words can not be used as safety valve or we do not care to listen to what is spoken in us, it is the body which expresses itself in the form of pain. This is our internal communication, unspeakable for now, seeking to make.


I noticed this when registering for the private lessons of the method "Feldenkrais" (1)


In fact, life, stress, unexpressed emotions had forced my body to adapt to the unacceptable distortion slowly (bad positioning spine, back pain, muscle pain ....).It is small at times, but I knew to do the exercises that certain parts of my
body no longer worked and others too much. While everything is well studied 
and useful for us, there is very little to throw. 
I came in the private lesson with a dead horse on the back and went away light as a feather in a found and serene body . 
One night I dreamed that I was sitting the edge of a gaping hole in my sternum, and I looked inside, without any apprehension, with curiosity, I was fine. 

I'm sorry, my father, who is no more advanced in my researches, my understanding of these internal mechanisms, not for changing his decision because I do not want to see unhappy but simply communicate differently.

In short: the man without a place does not exist and
the one that he leaves, can not be taken up by another. The situations are exchangeable (relationships, housing, jobs ....) but not places. 



    It is time to stop here for tonight, I wish you a good weekend and coming next Friday


 

1) He studied the relationship between the brain and body. 

An anecdote for my father, during a stay in the hospital , he had learned to  get up without effort when he sat, using the motive force of his body and he was very happy to stand was no longer a problem
for him : it was a Feldenkrais movement.



                                           
(*) in French and in English the same word concerning the needs of the soul and the natural needs .
I think the ills linked to intestines, to tummy are a body 's communication that seeks to say a deficiency in the needs of the soul. This is our first relationships as a child to keep or give our pee or poop.






                                                   

4 commentaires:

  1. Vous lire est agréable. Surtout ce texte. Il me touche particulièrement. Simplement que ma tendre maman est sur le bord de sa fin. On a failli la perdre en septembre. Mais là, comme tout recommence sérieusement à mal tourner, elle en a plus qu'assez d'être impotente et de ne plus avoir le droit à ce qu'elle a toujours été. Une battante. Maintenant, c'est son corps qui s'y refuse totalement. Je me prépare à la laisser partir. C'est-à-dire, de ne pas lui faire du chantage émotif. Je ne suis pas prete, ou j'ai encore besoin de toi.

    J'ai même écrit un texte justement pour défouler ma pensée. Sinon, les fissures s'organisent pour nous saigner à blanc.

    BOnne soirée

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    1. c'est un moment très difficile. Nous ne vivons pas encore la même chose car ta maman est encore en vie.
      Mais j'ai une amie qui a vécu cela avec son compagnon qui avait le cancer, il lui demandé de pouvoir partir, à bout des traitements, elle lui a dit oui et il s'est endormi . Je trouve qu'il faut beaucoup de courage mais lorsque l'on aime quelqu'un c'est penser à lui d'abord. Mais notre éducation, la société ne nous l'enseigne pas.
      Dans le poème à mon pére, à la fin je disais que je comptais sur lui pour avoir un regard bienveillant sur toutes les péripéties que nous pourrions vivre sans lui.
      Je pense que le lien n'est jamais tout à fait coupé, c'est
      seulement le corps qui est arrivé en fin de vie.
      Bon courage
      Françoise

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  2. Bonjour Françoise,
    Vous avez raison, nous sommes chacun une particule d'un grand corps cosmique, point ultime et singulier qui débouche sur l'infini et qui expérimente la vie. C'est ce que je pense.
    Où allons-nous ainsi d'étape en étape, d'expérience en expérience,
    de peine en joie ?
    Nous nous approchons chaque instant de cette tendresse qui gîte dans le dépouillement, pour retrouver notre corps universel, où vous, moi, tous les autres, vibrons au sein de cette grande soupe primordiale et sans cesse en mouvement ? J'aime à le penser car ainsi la séparation n'est plus (et c'est énorme) que ce vide laissé par l'être aimé dans la géographie du quotidien, une place irremplaçable en effet, une sorte de vide plein de nos racines que nous apprivoisons doucement pour un jour, en pensant à l'absent, finir par se ressourcer à la tendresse.
    Je viens de perdre quelqu'un de proche, je ne trouve pas encore les mots, mais quand je ferme les yeux et descends dans mes espaces intérieurs, alors je perçois cette vie et le vide disparaît. Le cœur s'emplit quand la tête se vide.
    A très bientôt.

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    1. Bonjour Adamante,
      Je me rends compte que ce texte dialogue avec une partie intime et douloureuse de nous.
      Cependant, il semble qu'écrire, mettre à l'extérieur, partager nos émotions soit une belle façon de changer notre regard sur cette grande absence, pour nous, nos enfants et ceux qui sont partis.
      La période de deuil est difficile, nécessaire mais au delà ne garder que le rayonnement de l'absent(e), c'est conserver la chaleur à laquelle va se consummer notre propre
      énergie pour continuer à devenir.
      Cette plaie est trop profonde, personnelle pour être cautérisée par les mots des autres mais je suis de tout coeur avec toi
      Françoise

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